LES GRECS SE BATTENT COMME DES LIONS, par François Leclerc

Billet invité.

Les semaines qui viennent ne vont pas être une partie de plaisir pour les Grecs, soumis à une pression de leurs créanciers qui ne va pas faiblir. En acceptant comme « un point de départ » le plan d’action proposé par le gouvernement, ceux-ci ont clairement annoncé leur intention de les tenir sous étroite surveillance. Un prochain rendez-vous a déjà été fixé à la fin de la semaine, le FMI et la BCE ayant fait part de réserves.

Le gouvernement grec va devoir obtenir en très peu de temps des résultats dans des domaines où ils sont généralement de longue haleine : la lutte contre l’évasion fiscale, la corruption et la contrebande. Avec les recettes qui vont en résulter, il va tenter de compenser l’augmentation de la TVA et la diminution des retraites qu’il a évités. C’est d’abord ce que l’on retiendra du compromis, car pour le reste les intentions restent énoncées de manière générale ou soumises à l’accord de ses interlocuteurs s’agissant du relèvement du Smig, qui est dans la pratique repoussé.

Les mesures humanitaires ciblées ont été symboliquement sauvées, mais il va falloir joindre les deux bouts en attendant fin avril et le versement de la dernière tranche d’aide du plan qui vient d’être provisoirement prolongé. Outre les dépenses courantes, le gouvernement va devoir faire face d’ici là à des remboursements du FMI et de bons du Trésor arrivant à maturité dont les financements restent à trouver.

L’équipe de Syriza a reculé pas à pas quand elle ne pouvait plus faire autrement. Faute d’avoir pu recueillir les soutiens qu’elle n’a pas cessé de chercher, et qui lui ont fait défaut, elle s’est retrouvée acculée dans ses derniers retranchements et il ne lui a été concédé que ce qui peut lui permettre de se maintenir à flot. Coupables de lâchage caractérisé, les gouvernements italiens et français « de gauche » en partagent la responsabilité, ainsi que de ce qui va suivre.

La brèche qui a été ouverte est sans commune mesure avec les efforts qui ont été déployés, mais il a été démontré qu’une autre voie que la résignation existait. C’est le cas pour un petit pays, cela pourrait l’être encore plus pour un grand. Il ne peut toutefois pas être exclu que les dirigeants grecs soient finalement contraints de sortir de l’euro face à des assauts d’intransigeance renouvelées. Soit pour ne pas se déjuger complètement, soit parce que les négociations sur le nouveau plan destiné à entrer en fonction fin juin prochain tourneront court.

Que faire si des objectifs irréalistes d’excédent primaire continuent d’être exigés, renouant avec une logique qui n’a pas été abandonnée et qui impliquera de nouvelles mesures d’austérité ? Car les rentrées des privatisations n’y suffiront pas, leur montant a déjà été surestimé dans la grande tradition des chiffrages arrangeants à laquelle les dirigeants européens nous ont accoutumés.

La bataille va désormais se dérouler en Grèce. Instaurer une justice fiscale inexistante, combattre le clientélisme et rendre l’administration de l’Etat efficace, lutter contre la fraude et l’évasion fiscale sont des domaines à fort retentissement dans le pays, que seul Syriza peut mener en rompant avec les pratiques d’un système politique tenu par les grandes familles et une oligarchie caricaturale, à qui le pouvoir a échappé. La petite fraude fiscale dont il est fait grand cas pour condamner les Grecs n’est que l’équivalent de la grande que cette dernière a instituée à son profit. Syriza ne va pas seulement être jugé à l’aune du compromis qu’il a du concéder, mais aussi en fonction des mesures qu’il va prendre dans ces domaines.

A un moment donné, un dilemme pourra cependant apparaître en force si la pression exercée sur le gouvernement grec devient insupportable : est-il préférable de continuer à subir cette tutelle écrasante ou faut-il s’en affranchir, advienne que pourra ? Quitte à devoir négocier avec le FMI des conditions qui seront toutes aussi dures que les actuelles, voire pires, mais qui laisseront entrevoir une issue future. Car dans l’état actuel des choses, celle-ci est condamnée.

Les dirigeants européens vont devoir prendre leurs responsabilités, mais tout pronostic à cet égard doit être réservé, au vu de ce qu’ils viennent d’accomplir. Mariano Rajoy, le président du gouvernement espagnol, a l’impudence de se présenter comme le garant de l’État providence, toute autre politique que la sienne menant au chaos. Il ne s’y trompe pas, c’est bien en Espagne que va se dérouler la prochaine confrontation, tout au long des mois qui suivent et des consultations électorales qui vont se succéder. Mais il ne faut pas sous-estimer la portée souterraine des évènements en cours dans les opinions publiques, dans un contexte de crise politique multiforme qui ne donne globalement aucun signe de s’atténuer.